La Bulgarie va-t-elle connaître son troisième gouvernement en six mois ?

Nicolas Tena
12 Juillet 2013



Depuis un mois, le peuple bulgare ne cesse de manifester contre son gouvernement. La demande est claire : Plamen Orecharski et son équipe, élus il y a moins de deux mois, doivent démissionner. Retour sur les événements qui ont poussé les Bulgares à demander le départ de leur gouvernement, une deuxième fois en quatre mois.


« Nous ne paierons pas » | Crédit photo -- Dimitar Dilkoff / AFP
« Nous ne paierons pas » | Crédit photo -- Dimitar Dilkoff / AFP
Au mois de février dernier, les citoyens se sont mobilisés une première fois pour dénoncer une situation économique qui laisse à désirer, ainsi que la hausse des prix de l’électricité et du chauffage. Sept personnes se sont immolées par le feu au cours des événements. 

Un premier gouvernement destitué par le peuple

Le Premier Ministre Boïko Borrisov, membre du parti conservateur GERB, n’a eu d’autre choix que de présenter la démission de son gouvernement. À l’issue du scrutin anticipé organisé le 12 mai dernier, aucun parti n’a obtenu assez de voix pour pouvoir former un gouvernement : le parti de l’ancien Premier Ministre a remporté les élections avec un peu plus de 30 %, suivi du parti socialiste bulgare (BSP) qui a décroché 27 % des votes. Ces élections anticipées ont permis l’entrée au parlement du Mouvement des Droits et des Libertés (MDL), aussi connu comme le parti de la minorité turque, et du parti d’extrême droite ATAKA.

Finalement, le pays est sorti de l’impasse politique grâce à une coalition inattendue entre le BSP et le MDL. Le 29 mai, le Parlement a donné son vote de confiance à un gouvernement d’experts avec, à sa tête, l’économiste Plamen Orecharski. Celui-ci, qui se revendique actuellement sans étiquette politique, avait commencé sa carrière politique à droite en 1997 au poste de vice-ministre des Finances, avant d’être écarté de son parti en 2003 en raison d’une affaire de corruption.

Le déclenchement de l’indignation bulgare

Tout a commencé le vendredi 14 juin, avec la publication, dans le journal officiel, de la loi conférant le pouvoir au Parlement, de désigner le président de l’Agence d’État pour la sécurité nationale (DANS). Dans la même journée, le Premier Ministre a proposé à l’Assemblée nationale de nommer le député du MDL, Delian Péevski, comme président de la DANS. La proposition est acceptée avec 116 voix (87 contre et 1 abstention) et M. Péevski prête aussitôt serment. Le Président Rossen Plevneliev a immédiatement réagi à cette nomination en demandant au Parlement de réexaminer sa décision et en déclarant que « la procédure d’après laquelle a été élu le président de la DANS n’a rien à voir avec l’engagement pris à mon égard et à l’égard de tout le peuple bulgare, celui de la transparence. »

Il faut savoir que M. Plevneliev avait des raisons de douter de cette désignation. Delyan Peevski, 32 ans, issu de la minorité turque, est un oligarque. Sa mère, Irena Krasteva, possède un puissant groupe de presse. Ancien juge d'instruction, il a été vice-ministre de la lutte contre les catastrophes naturelles avant d'être limogé, impliqué dans une affaire de corruption. D’anciens agents de la DANS ont déclaré que la vérification du dossier de M. Peevski a été superficielle. Pour qu’une personne soit habilitée à y accéder, elle doit être soumise à une vérification spéciale, qui implique des demandes d’information à toutes les directions régionales de l’Agence nationale des revenus, à l’Institut national de la sécurité sociale, aux banques ainsi qu’aux fichiers du ministère de l’Intérieur et de la DANS. Le journal national Capital Daily conclut que cette habilitation s’inscrit dans un scénario noir, conçu et mis en exécution par les hommes politiques au pouvoir peu de temps après les élections.


Gouvernement et manifestants : les deux partis campent sur leurs positions

Suite aux déclarations du Président de la République, la société civile bulgare a manifesté son mécontentement en prenant d’assaut les rues dans les plus grandes villes du pays. Dans les jours qui ont suivi, les rassemblements se sont organisés sur les réseaux sociaux sous le nom de #дансwithme (#danswithme, jeu de mots entre le nom de l’Agence d’État pour la sécurité nationale et le verbe anglais danser). Les manifestations pacifiques ont obtenu gain de cause puisque Delyan Peevski a présenté sa démission auprès du Parlement quelques jours après sa promotion.

Aujourd’hui, les protestations continuent. Les manifestants, dont deux tiers sont des hommes et qui ont entre 18 à 45 ans, demandent, dans un premier temps, une réforme du système électoral puis la démission du gouvernement. Deux visions s’affrontent concernant la réforme qui pourrait être apportée. Le système actuel étant proportionnel, il y a d’un côté ceux qui désirent baisser le seuil d’entrée au Parlement afin de permettre à des partis politiques plus petits d’y accéder. Et de l’autre, certains Bulgares pensent que ce système pourrait favoriser les jeux de lobby entre les partis politiques. Ils veulent donc mettre en place un système électoral majoritaire moins propice à la corruption. Deux autres problèmes sont également soulevés par une partie d’entre eux : le vote des citoyens résidant à l’étranger et l’impression des bulletins de vote.

Dans les années 1980, une partie de la population bulgare a émigré vers la Turquie. Aujourd’hui, ces citoyens votent pour le MDL, sans forcément être concernés par les problématiques du pays. En ce qui concerne les bulletins de vote, les Bulgares veulent mettre fin aux découvertes récurrentes de faux bulletins. Ils souhaitent que ceux-ci soient imprimés exclusivement par la Banque Centrale et non pas par des imprimeries privées. Les Bulgares revendiquent également une amélioration des systèmes éducatifs et de santé et une lutte efficace contre la corruption, fléau qui sévit dans tout le pays.

De son côté, le gouvernement n’envisage pas d’abandonner le pouvoir. Selon le Premier Ministre, soutenu par des manifestations mineures, « une démission serait facile sur un plan personnel, mais serait extrêmement irresponsable en raison d'une nouvelle déstabilisation du pays ». Il cherche également à décrédibiliser une partie des manifestants en accusant le parti de M. Borissov de payer des personnes pour qu’elles manifestent.

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